OPINION

Réflexions sur les bonnes pratiques de gouvernance

On apprenait dernièrement que la rémunération des six plus hauts dirigeants de Bombardier avait bondi en flèche, et ce, peu de temps après que cette entreprise eut reçu une aide financière de la part de nos gouvernements et eut effectué des mises à pied importantes.

Évidemment, cette décision a soulevé une réaction de stupéfaction et d’indignation générale.

Les bonnes pratiques

Mais comment une telle chose a-t-elle pu se produire ? Bombardier a pourtant bel et bien suivi les pratiques de gouvernance promulguées au Canada et partout dans le monde. Les mécanismes de rémunération qu’elle a mis en place sont semblables à ceux adoptés par d’autres grandes sociétés du même type.

C’est d’ailleurs de cette façon que Bombardier arrive à attirer et retenir des gestionnaires talentueux qui seront en mesure de créer de la valeur pour les actionnaires qui ont pris le risque d’investir une partie ou la totalité de leurs avoirs dans cette multinationale.

Qu’est-ce qui cloche ?

Les bonnes pratiques de gouvernance ne contribuent pas à élever le niveau de conscience sociale et éthique des dirigeants. Malgré la multitude de mécanismes de gouvernance élaborés au cours des 25 dernières années, on observe régulièrement des dérives managériales.

Les règles ne sont pas suffisantes. Les dirigeants trouvent des moyens ingénieux pour les contourner.

Les entreprises sont des entités morales qui devraient se comporter comme de bons citoyens corporatifs. Dans les universités, on s’évertue à former des gestionnaires qui ont des têtes bien faites plutôt que bien pleines. Les notions d’éthique et de responsabilité sociale sont discutées et ont la cote auprès des étudiants. On constate toutefois qu’une fois en entreprise, les nouvelles recrues déchantent. Ces dernières se feront dire que la pratique est tout autre que la théorie ou que ce sont les règles du marché qui priment.

La rémunération incitative

L’adoption de mesures incitatives pour les membres d’une direction repose sur l’idée qu’un dirigeant-actionnaire sera plus enclin à servir l’intérêt de ses partenaires financiers. L’idée semblait pertinente jusqu’à ce qu’on réalise que certains mécanismes, comme les options d’achat d’actions, encouragent plutôt la prise de risque et la vision à court terme. 

Concrètement, l’option d’achat donne le privilège à son détenteur d’empocher les gains lorsque l’action sous-jacente est à la hausse et l’immunise contre les pertes. Les dirigeants auront donc tendance à prendre plus de risque pour faire augmenter le prix de l’action, sachant que les baisses ne peuvent affecter cette partie importante de leur rémunération. En cas de contre-performances, ces prises de risque excessives peuvent entraîner des répercussions désastreuses pour certaines parties prenantes, les employés notamment.

Saviez-vous qu’au Canada, les PDG des grandes entreprises gagnent en moyenne 159 fois plus que le salaire moyen des employés des entreprises qu’ils dirigent ? 

Dans des pays comme la Norvège, le Danemark et l’Autriche, ce ratio est inférieur à 60.

Les groupes de pression

Depuis quelques années, d’autres mécanismes se sont ajoutés pour arrêter les dérives. Par exemple, des groupes d’activistes bien organisés comme les « hedge funds » se chargent désormais de vérifier si les administrateurs surveillent bien les dirigeants ! Sans parler des médias traditionnels et sociaux ainsi que des tribunes politiques qui réussissent parfois à faire changer les choses et à renverser les décisions comme on l’a vu dans le dossier de Bombardier au cours de la dernière semaine. Mais ce n’est pas suffisant…

La pièce manquante

Les règles de gouvernance sont certes nécessaires, mais elles s’avèrent malheureusement insuffisantes. Quelle est donc la pièce manquante pour assurer une saine gouvernance d’entreprise ? Pour répondre à cette question, voyons le développement moral d’une organisation comme une pyramide. La base qui doit être large et solide est celle de la rentabilité. Mais les profits doivent être générés dans le cadre des règlements et lois en vigueur, ce qui correspond au deuxième niveau, plus étroit et plus fragile. Le dernier niveau est celui de la culture éthique et des valeurs morales qui sont véhiculées par la haute direction et les conseils d’administration. À ce niveau, beaucoup d’appelés, mais peu d’élus.

Il faut donc dépasser le stade des règles et viser l’engagement personnel. Ainsi, comme il est écrit dans le code d’éthique de Bombardier, « l’entreprise qui agit avec intégrité inspire confiance à ses employés, clients, actionnaires et fournisseurs, ainsi qu’à l’ensemble de sa communauté ».

À ce chapitre, j’aimerais donc inviter les hauts dirigeants de Bombardier à réfléchir à cette citation de Jean-Paul Sartre : « La confiance se gagne en gouttes, et se perd en litres. »

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